Ingénieux Marocains ?

Voyager au Maroc, c'est d'abord changer de continent, découvrir des paysages inconnus en Europe comme le désert, les dunes de sable de Merzouga, les palmeraies, mais c'est aussi découvrir des mode de vie et de fonctionnement très différents de nos rigoureuses et strictes habitudes alsaciennes, un cataclysme pour les psychorigides que nous sommes!

Bien sûr, on peut visiter le Maroc tout en restant dans le sécurisant mode de vie à l'européenne. 60% des touristes se rendent en fait à Marrakech ou à Agadir, hauts lieux du tourisme festif ou balnéaire, local ou international. Un avion les dépose directement à Marrakech ou Agadir, un taxi les emmène ensuite dans un hôtel qui ressemble à n'importe quel hôtel, dans n'importe quelle partie du monde. Les standards de confort sont évidemment européens: la piscine est ornée des éternels palmiers qui sont censés incarner le comble de l'exotisme ainsi que d'un bar "les pieds dans l'eau" servant des cocktails hors de prix; un buffet "all inclusive" présente une nourriture européanisée, dans une ambiance polaire, la climatisation poussée à fond. Des excursions sont bien sûr proposées. Aller à Marrakech sans visiter la place Jemaa el-Fna, classée au patrimoine immatériel de l'humanité, n'est pas envisageable pour un touriste. Les plus osés arpenteront la place à la découverte des fabuleux conteurs, des charmeurs de serpents, oseront manger sous les tentes proposant une restauration diverse, variée, voire typiquement marocaine. Les moins osés admireront le spectacle de la place qui prend vie en début de soirée du haut de leurs "rooftops" de luxe en buvant des cocktails de luxe. Tout ce beau monde, frileux ou aventureux, retrouvera avec plaisir son luxueux hôtel ou riad, Marrakech oblige.

Découvrir le Maroc en camping-car est un peu plus aventureux, même si "l'aventure" reste bien encadrée par les agences de voyage. En camping-car, nous traversons des régions finalement peu visitées, et faisons parfois de belles rencontres.

Un de nos compagnons de voyage s'est rendu compte lors de la tempête que nous avons affrontée à notre arrivée au Maroc, dans le Rif, que ses essuie-glaces ne fonctionnaient pas. Il tenait absolument à les réparer avant la prochaine tempête et il lui fallait trouver un circlips. Réparer le rassurait. C'était son premier voyage au Maroc et chacun sait que les pluies diluviennes sont fréquentes au Maroc, surtout dans le sud marocain, qui n'a pas vu une goutte de pluie depuis 7 ans. Je me moque gentillement, mais il est vrai que les essuie-glaces sont particulièrement utiles pour enlever la poussière rouge qui recouvre le pare-brise et l'ensemble du camping-car. Nous lui avions donné l'adresse d'un garage qu'il n'a pas réussi à trouver. Du coup, il s'est adressé à un Marocain qui l'a emmené au... marché. Non, le Marocain ne pensait pas trouver un circlips au marché, mais a utilisé notre ami comme taxi. Lui devait faire ses courses et ce taxi camping-car n'était pas cher.

En effet, se déplacer n'est pas simple pour la population marocaine. 80% des Marocains font parties des classes populaires qui ne possèdent pas de voiture. 30% de la population marocaine vit dans une grande pauvreté et 30% dans une pauvreté moyenne qui les prive d'accès aux droits élémentaires (école, alimentation non carencée, accès aux soins). Donc, ils se déplacent en utilisant les moyens du bord: en faisant du stop (pourquoi ne pas utiliser un camping-car qui cherche un garage ?), des taxis collectifs sur les longues distances, des motos transformées avec un hayon arrière où sont entassées dix personnes, sans oublier les marchandises et le fameux tabouret en plastique qui permet d'ajouter une personne supplémentaire, des vieilles camionnettes Mercedes hors d'âge et increvables, des ânes ou chevaux dans les zones rurales. Non, pas de dromadaires, c'est juste du folklore pour promener les touristes !

Une autre aventure marocaine ? Dans le sud marocain, un couple de camping-caristes croise une voiture en panne au bord de la route, le conducteur tendant un bidon de 5 litres vide dans leur direction. N'écoutant que leur bon coeur, nos amis s'arrêtent. Le Marocain leur explique qu'il est en panne d'essence et que ce serait gentil de prévenir son cousin en ville. Il leur dessine soigneusement un plan sur un bout de papier. Nos amis prennent la route, trouvent aisément la maison du cousin qui se trouve être... une boutique d'artisanat marocain: djellabas, plats à tajine ou autres céramiques. Nos compagnons de voyage prennent leur mal en patience, boivent le fameux "whisky marocain", c'est-à-dire un thé à la menthe très sucré, finissent par acheter des djellabas et autres cadeaux qu'ils voulaient de toute façon ramener en guise de cadeaux. Arrivés en retard au camping, ils racontent leur aventure à l'ensemble du groupe.

C'est à ce moment, qu'une dame du groupe nous dit en rigolant qu'elle a fini dans la même boutique, mais sous un autre prétexte. Cette fois,il s'agissait d'une histoire compliquée. Elle devait aider le fameux "cousin", encore, à rédiger une lettre en français, destinée à un médecin. Je n'ai pas tout compris, mais elle a écrit la lettre sans rien acheter à la grande déception du "cousin". A l'heure qu'il est, nous ne savons toujours pas si le premier cousin attend impatiemment son bidon d'essence au bord de la route. Notre groupe a été épaté par l'ingéniosité marocaine. Suite à ces deux aventures, plus aucun camping-cariste ne s'est arrêté au bord de la route, malheureusement pour ceux qui auraient vraiment eu besoin d'aide ?

Pourquoi des scénarios aussi compliqués ? Pourquoi se donner autant de mal pour faire venir des touristes dans une boutique ? Il est évident que dans un pays où le salaire moyen mensuel tourne autour de 360 euros (chiffres 2023), où 4 salariés sur 10 ne perçoivent pas une telle somme, vendre à des touristes de l'artisanat local est une question vitale. Il ne faut pas non plus oublier que 79% de la population ne dispose d'aucune couverture sociale, ni de régime de retraite. Mohammed VI, contrairement à son père Hassan II, se sert du tourisme pour développer, moderniser son pays et le prémunir autant que possible contre le repli islamiste. Le tourisme représente 2 millions d'emplois, la deuxième branche d'activité du pays après l'agriculture en terme de main d'œuvre employée, 5 ou 17% du PIB marocain. L'importance du tourisme est probablement sous estimée (ce qui explique la différence entre 5 et 17% du PIB) car de nombreux emplois sont informels. Toutes ces données expliquent également pourquoi le touriste est harcelé de sollicitations de tout genre au Maroc, pourquoi les guides vous traînent systématiquement dans des boutiques de tapis, de plats à tajine ou autres céramiques, de travail du cuir, d'argan, de safran... Les camping-cars se sont progressivement alourdis, les soutes remplies d'objets en tout genre. Donc, oui, les Marocains sont ingénieux car il faut bien vivre, survivre ?

P.S. : Denis publie toujours ses magnifiques photos et notre itinéraire, jour par jour, sur la page "Photos, cartes, journal", et sur Polarsteps.