Amnésie sévillane
- Dominique
- 6 févr. 2022
- 4 min de lecture
Il était une fois, une famille alsacienne qui décida de partir en vacances... Ah non, je me suis trompée de style, j'écris pour notre blog et non pas un conte de fées ! Je reprends...

Il y a une vingtaine d'années, nous sommes partis pendant les vacances de Noël en Andalousie. C'était notre premier grand voyage lointain, nos filles avaient à l'époque, respectivement, 3 et 5 ans. Nous avions visité Grenade, Cordoue, Ronda, Cadix mais je n'avais aucun, mais vraiment aucun souvenir de Séville. Pourtant, nous y avions passé une journée. J'en suis sûre ! Comment s'explique mon amnésie totale concernant Séville ? Je n'avais pas aimé la ville ? Elle ne m'avait pas marquée alors que 20 ans après, j'ai adoré chaque instant passé à Séville ?
Pourtant, 20 ans plus tard, nous avons tellement apprécié cette ville que nous y sommes allés deux fois. Nous y avons passé une journée à Noël avec nos filles, puis frustrés de ne pas avoir TOUT vu, nous y sommes retournés et y avons séjourné plus d'une semaine, ce qui est long pour nous, connaissant notre appétit de nouvelles découvertes.
Comment ne pas aimer Séville ? Ne pas admirer ses somptueuses demeures, ses ruelles étroites, ses places ornées d'orangers ? Ne pas flâner dans le parc de María Luisa ? Ne pas regarder le soleil se coucher sur les façades de la Plaza d'España ? Ne pas faire du vélo le long du Guadalquivir ? Ne pas déguster un cocktail sur le rooftop de l'hôtel Eme, tout en admirant la Giralda ? Ne pas faire ses courses au marché couvert de Triana et se faire plumer comme tous les pigeons de touristes ?

Plusieurs faits expliquent notre engouement pour Séville. Denis nous a trouvé une aire de stationnement très sympathique dans un port de plaisance qui accueille également les camping-cars. Depuis ce dernier, nous avions une vue très agréable sur le Guadalquivir et les voiliers. Ensuite, les 180 km de pistes cyclables nous ont permis de nous déplacer allègrement dans toute l'agglomération sévillane et d'explorer celle-ci quartiers par quartiers, de palais en palais. Et, bien sûr, le soleil omniprésent (sauf pendant le séjour des filles !) rendait nos journées radieuses et chaque palais, jardin, promenade à vélo encore plus merveilleux.

Ce qui est intéressant et fascinant en Espagne, et plus particulièrement en Andalousie où la présence musulmane a été la plus longue (711 à 1492 pour le royaume de Grenade), c'est la rencontre et le mélange de trois cultures. Ces échanges culturels ont eu lieu au Moyen âge. Les Juifs séfarades (séfarade désignant la péninsule ibérique) sont arrivés en Espagne : pour les premiers, au début de notre ère, après la destruction du temple de Salomon en Israël, et les derniers, après l'éclatement du monde musulman en trois entités au X° siècle. Cette communauté juive s'est développée à l'ombre de l'Alcázar, le palais fortifié musulman, sous la protection de leur statut de dhimmi. Ils se sont regroupés dans un quartier - appelé juderia - qui se distingue dans la ville actuelle par ses façades blanches, ses fleurs, ses patios, sa synagogue, preuve de la tolérance des musulmans envers la religion juive, tout comme la chrétienne.
Progressivement arabisés, Juifs et chrétiens écrivent l'arabe, traduisent des ouvrages arabes, diffusent en Occident de nouveaux savoirs scientifiques (chiffres arabes, médecine, astronomie...) et réintroduisent la culture antique, conservée par le monde arabe.
En 1248, Séville est reconquise par les rois chrétiens qui conservent quelques édifices datant de l'époque musulmane : la Giralda, minaret de l'ancienne mosquée et qui sert de clocher à la nouvelle cathédrale chrétienne, construite sur le site de la mosquée - détruite bien sûr - ; les murailles et la Torre del Oro construites sous l'ère almohade, ainsi que les parties les plus anciennes de l'Alcázar.
L'Alcázar est un des exemples les plus réussis de ce mélange culturel qui s'est déroulé en Andalousie. À partir de 1248 à Séville, les chrétiens ont utilisé les savoir-faire des artisans musulmans, créant un nouveau style appelé mudéjar. L' art islamique, sans représentation humaine et divine, était parfaitement intégrable par la civilisation chrétienne : utilisation des azulejos ou carreaux de faïence pour décorer les escaliers et la partie basse des murs, stucs sur les parties hautes des murs et décorant les galeries couvertes des patios, des plafonds en bois très travaillés, utilisation d'éléments architecturaux comme les
arcs outrepassés, polylobés, sebka ou réseau d'arcs entrecroisés.


Le plan des maisons traditionnelles de l'espace méditerranéen explique peut-être mon amnésie sévillane ? En effet, tournées vers l'intérieur, celles-ci n'ont même pas une fenêtre sur la façade. Il faut donc rentrer dans les maisons ou palais pour découvrir leur charme, ce que nous n'avons pas eu le temps de faire, il y a 20 ans. Ces demeures sont construites autour d'un espace central qui est le patio, héritage de la villa romaine, construite autour d'un atrium. L'art des jardins et la gestion de l'eau sont aussi un héritage musulman. Nous nous sommes régalés à visiter les nombreux palais ouverts au public comme le palais de la comtesse de Lebrija, grande amatrice d'archéologie, et dans lequel nous avons admiré les plus belles mosaïques romaines (pillées à Itálica... soupir).

Il ne faut pas non plus idéaliser l'Espagne musulmane. Musulmans, Juifs et chrétiens se toléraient, mais ce n'était pas non plus le monde idéal des bisounours. Juifs et chrétiens étaient tolérés car à tout moment, les autorités musulmanes pouvaient les expulser. Cette culture originale s'est construite toujours autour d'une culture dominante celle des musulmans, puis celle des chrétiens à partir de 1248 à Séville. Les rois catholiques ont d'ailleurs progressivement chassé les Juifs en 1492, puis les musulmans encore appelés morisques en 1609. À la fin, ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. Zut, je me suis encore trompée d'histoire...

Ca donne envie d'y aller !!!
Un immense merci, Dominique, pour avoir pensé à partager avec nous la beauté, la richesse et l'histoire de Séville 💖. Et tiens, ça ne fait même pas 10 ans que j'ai découvert Séville, mais j'ai trop envie d'y retourner pour suivre vos traces 😊